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Septembre 2015. Les championnats d’Europe de concours complet battent leur plein sur le terrain de Blair Castle, en Écosse.


Les Bleus sont sereins grâce à leur troisième place au provisoire, après le premier jour du dressage.


Si le cross s’annonce difficile, avec des obstacles massifs disséminés sur un parcours très dénivelé, l’équipe de France a toujours su se démarquer sur cette épreuve.


« Il n’y a rien d’insurmontable, lance le cavalier Karim Laghouag, avant de se mettre à cheval. Ce sont des combinaisons et des obstacles qui demandent de la concentration et une bonne gestion de l’état des chevaux. Il va falloir être attentif jusqu’au bout. »


Le premier couple français s’élance sur le parcours. Il s’agit de Thibault Vallette et Qing du Briot. La veille, ils ont signé la meilleure performance des Bleus au dressage. Aujourd’hui, ils récidivent, avec un cross sans faute. Le staff est fébrile, les chances de médaille se renforcent.


Mais peu avant le passage de Karim, la pluie se déchaîne. Un déluge. « Le chronomètre va être
difficile »
, reconnaît-il. Malgré des crampons bien serrés aux fers d’Entebbe, le terrain devient boueux.


Les chevaux commencent à glisser sur le parcours.

Le couple français s’élance…

« Le cheval doit avoir une confiance tellement aveugle en son cavalier qu’il pourrait foncer dans un mur s’il le lui demandait », certifie Karim Laghouag, en flattant son cheval couleur bai-brun.


Le cavalier, avide de nouvelles expériences, est allé jusqu’à prendre ce concept de « confiance aveugle » au pied de la lettre. Avec son coach, il a entraîné Entebbe après lui avoir bandé les yeux.


« Ça permet de canaliser l’énergie et la concentration. Il est complètement à l’écoute, il donne le meilleur de lui-même car il nous fait confiance », s’enthousiasme Karim. Tout ne passe plus que par le contact et la communion entre l’homme et l’animal.


​Mais cet abandon à l’autre doit être réciproque. Le moindre doute, la moindre hésitation de la part du cavalier, et le cheval le sentira.


L’entraîneur de l’équipe de France, Thierry Touzaint, est catégorique : « C’est hyper important que le cheval ait confiance. Le gars qui stresse, il ne va pas faire confiance à son cheval, le cheval va le sentir et s’inquiéter, et ils vont se mettre tous les deux en difficulté. »

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Karim Laghouag sur Entebbe de Hus.

Il y a d’abord l'éternel petit sourire, façon jeune premier. Puis le pas déterminé, habitué aux grandes foulées.


Nicolas Touzaint pénètre sur la piste. Du sable recouvre ses bottes cirées. Sa groom lui amène son cheval de tête pour la compétition : « Crocket 30 ». Ne pas s’y fier.  Derrière le nom un peu léger se cache un mental de guerrier.


Dans quelques minutes, le couple va s’élancer sur le parcours de cross trois étoiles de la « Crazy Ride » de Fontainebleau. Fin mars, cet international de concours complet ouvre la saison des compétitions.


Au programme : une dizaine de kilomètres à parcourir, 25 obstacles à franchir, une bonne dose d’adrénaline et de sang froid. L’objectif : franchir toutes les difficultés dans le temps imparti. Inutile d'épuiser son cheval pour rentrer le plus vite possible.


Le cross n'est pas question de rapidité mais de bonne gestion du chronomètre. Et surtout, bien se rappeler le tracé de la piste découvert la veille, le nombre de foulées entre chaque combinaison, le parcours le plus adéquat pour ne pas commettre de refus devant un obstacle.


Avant d’être physique, le cross est avant tout une épreuve de réflexion et d’arbitrage. Lors des reconnaissances à pied, les cavaliers doivent trancher entre des tracés plus courts mais risqués et des trajectoires plus évasées mais synonymes de perte de temps. Il faut connaître son cheval et ses limites.

Ce jour-là, environ 300 spectateurs ont fait le déplacement pour applaudir les meilleurs mondiaux du concours complet, un sport relativement confidentiel.


Postés devant des obstacles de plusieurs mètres de long, une barquette de frites à la main, ils savourent le spectacle. « Les personnes sont attirées par cette adrénaline sur le cross. Ce sont toujours des sensations fortes », certifie Nicolas Touzaint.


Le cross est un moment phare, l’étape la plus éprouvante du concours complet. Dans ce triathlon équestre, le couple cheval-cavalier est testé plusieurs jours sur trois épreuves aux exigences très distinctes.


Sujétion et élégance sur le dressage, courage et endurance sur le cross et, enfin, bonne récupération et agilité sur le parcours de saut d’obstacles. Une complémentarité qui séduit les cavaliers et demande une préparation minutieuse de leur monture.

Avant le départ, c’est l’heure des ultimes préparatifs pour Nicolas et Crocket.


Dernier galop rapide pour échauffer le cheval gris, énièmes vérifications techniques côté cavalier. Un rituel qui a son importance en concours complet.

« Le cheval ressent complètement les différences entre les épreuves, explique Nicolas. À chaque fois, c’est une ambiance différente autour de lui. Quand on le prépare pour le cross et qu’on lui met les guêtres, il sait ce qui va se passer. »  


L’airbag est bien accroché à la selle, prêt se déclencher en cas d’accident. Assez rares à haut niveau, les chutes n’en sont pas moins impressionnantes.


Plus tôt dans l’après-midi, la seule femme à chevaucher pour les couleurs de l’équipe de France en a fait les frais. Une chute sans gravité pour la Toulousaine Gwendolen Fer, mais qui l’a disqualifiée d’office. 

Jamais très loin, Thierry Touzaint observe son neveu avec attention. Pour le sélectionneur de l’équipe de France, le concours de Fontainebleau est avant tout l’occasion de tester la forme des cavaliers pressentis pour les Jeux Olympiques de Rio.


Sa présence donne l’impression que l’histoire se répète. Fontainebleau, il connaît bien. Avec son frère, il y a décroché l’or aux « JO de remplacement », en 1980, suite au boycott de la Fédération française d’équitation des Jeux de Moscou. Clin d’oeil du destin, Nicolas naît à Angers la même année que le triomphe familial.


Longtemps, ce lien du sang n’a pas suffi à lui mettre le pied à l’étrier. Petit, Nicolas préfère le foot et le tennis. L’histoire veut que ce soit à cause d’une mauvaise chute.


« Je n’étais pas très courageux, j’avais peur de monter à cheval », confesse-t-il dans un petit sourire. Ce n’est qu’à treize ans que le futur champion réussit à dominer son appréhension sur le dos de « Buck », un vieux poney. Le déclic.


L’ascension est fulgurante et digne des meilleures « success story ». À vingt ans, celui qu’on surnomme

« Nic Touz » participe à ses premiers JO à Sydney. Quatre ans après, il rafle la médaille d’or par équipe à ceux d’Athènes. En 2008, il devient l’unique Français à s’imposer sur le mythique parcours britannique de Badminton.


Si tout se passe bien, il s’envolera bientôt avec son oncle pour les Jeux de Rio. Dans la famille, on n’échappe pas aux sirènes du complet.


« Nicolas Touzaint, une minute ». La voix du speaker résonne dans la carrière. Le couple s’approche de la boîte de départ.


Quelques badauds se pressent pour photographier une dernière fois le visage bonhomme de l’Angevin, avant qu’il ne disparaisse dans la forêt de Fontainebleau.


« Trente secondes ». Tout à coup impatient, Crocket se met à piétiner sur place. Nicolas tente de canaliser ses émotions mais le flegme est rapidement chassé par la crispation.


Mâchoire serrée, le champion jette un dernier coup d’oeil sur son chronomètre puis rentre dans la boîte. On se demande alors qui du cavalier ou du cheval mène la danse. À ce moment précis, le couple ne fait plus qu’un.


« 3,2,1… Bonne route ! »

Près du parking réservé aux cavaliers, on entend les haut-parleurs annoncer les résultats. « Parcours sans faute pour Nicolas Touzaint. »


Ici, les plaques d’immatriculation étrangères se succèdent. Certaines équipes ont fait le trajet depuis la Belgique, l’Autriche ou encore l’Italie. Dans le microcosme du concours complet, tout le monde sait que les cavaliers sont autant sportifs que camionneurs aguerris.


Une double casquette qui s’explique par l’impératif de voyager avec les chevaux pendant les nombreux concours qui jalonnent l’année. Partagés entre la route et les compétitions, les cavaliers de complet en ont fait leur mode de vie.


Et pour améliorer leur quotidien, il faut compter sur le soutien des sponsors pour investir dans des camions sur-mesure avec un coin appartement, pour dormir aux pieds des sabots de leurs chevaux plutôt qu’à l’hôtel les soirs de déplacements.

Dans les coulisses des écuries, grooms et cavaliers partagent leur quotidien autour des joies et des peines du complet. Du matin au soir, ces hommes équestres consacrent leur temps et leur énergie aux chevaux. Une dévotion que seule une passion sans faille peut animer.


En attendant, il n’est pas rare de voir les cavaliers se transformer en petites mains une fois une épreuve terminée. Il est presque 16h20 quand Nicolas déboule dans l’allée centrale, l’air plutôt satisfait. Tranquille, il pousse une brouette transportant la selle de Crocket et du matériel de cross.


Derrière lui, sa groom Lourie Bonnaud suit et tient la longe de Crocket. C'est elle qui s'occupe des chevaux du champion au quotidien. « Ça c’est passé

comment ? », demande un cavalier concurrent.

« Bien », lâche Nicolas, laconique. Avant de nuancer : « J'ai voulu assurer sur les derniers obstacles, j'ai pris un peu de temps. »


Au cross, chaque seconde au delà du chronomètre imposé entraîne 0,4 point de pénalité. Rien comparé à un refus qui en compte vingt. Avec son parcours sans-faute, l’Angevin réalise une belle performance.


De quoi gagner de précieuses places par rapport à l’épreuve de dressage de la veille et espérer accrocher le numéro un mondial, Michael Jung, qui concourt avec deux chevaux différents et caracole en tête du classement.

Vivez l'adrénaline du cross à travers la caméra embarquée du cavalier 

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Aux antipodes de la fureur du cross, l’épreuve de dressage est la tranquillité incarnée. Elle n’en est pas moins primordiale.


Sur une carrière longue de 60 mètres et large de 20, les cavaliers doivent exécuter une vingtaine de figures imposées.


Déplacements latéraux , changements de pied, transitions aux trois allures... les juges notent la soumission du cheval et valorisent l’entente du couple.


Comme en patinage artistique, une moyenne est ensuite calculée et détermine un premier classement.


Habituellement, les cavaliers français ne sont pas donnés favoris sur cette première épreuve.


« Malheureusement, ce n’est pas la discipline
que préfèrent les cavaliers de complet,
 reconnaît le sélectionneur de l’équipe de France, Thierry Touzaint. Ils pratiquent souvent cette discipline pour le cross et aussi le saut d'obstacles… Mais on est vraiment en train de combler notre retard. »


Pas le choix face un nivellement de la discipline vers le haut. Aujourd’hui, plus la peine d’espérer vaincre grâce à la seule force du cheval à l’obstacle. 


Pour les Bleus, l’enjeu est de taille. « La nouvelle génération s’est vite rendu compte que si elle voulait être sur le podium, il fallait être devant dès le

dressage », souligne Serge Cornut, l’entraîneur spécialisé de la discipline auprès de l’Équipe de France.


Puis ajoute d’un trait : « Ils n'ont plus le choix. Tout le monde galope, tout le monde saute très bien désormais. Maintenant, dès le premier jour du dressage, il faut être dans le peloton de tête. »


Mais s’il est capital de se hisser en haut du classement dès le premier jour, encore faut-il conserver son avance. « Le complet, ça se gagne au dressage et ça se perd à l’obstacle », synthétise Nicolas, avant de filer se reposer dans son camion. Demain, la journée sera encore longue.

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Élégance et précision en dressage pour Nicolas Touzaint et Crocket.



Entre les deux épreuves, les grooms ont vingt-quatre heures pour dispenser des soins à l’équidé et lui permettre de récupérer. L’équation est simple : monter un cheval fatigué et courbaturé, c’est prendre le risque de « faire des barres » ou qu’il refuse de sauter. Voire d’être éliminé : la sanction tombe après un troisième refus.


« C’est toujours un moment plein de tension… Et là, les scores sont très serrés », résume Fabienne, jeune retraitée et fan de complet, installée sous un plaid.


Il faut dire que malgré le soleil, les bourrasques de mars sont fréquentes. Pas de quoi refroidir celle qui arpente les terrains de complet depuis l’enfance, et qui rêverait que la discipline soit plus médiatisée.


Soudain, le public frémit. Un cavalier vient de rater
un obstacle : la barre tombe, puis une autre et encore une. Comme au cross, il faut aller vite et sans faute. Avec une différence de taille : l’effort demandé à l’équidé n’est pas du tout le même.


Dans le premier cas, le cavalier sollicite l’audace du cheval pour qu’il franchisse des obstacles fixes souvent très larges, quitte à ce que ses pattes « tutoient » les combinaisons. Au cross, pas de risque de points de pénalités en cas de contact, les obstacles ne peuvent pas tomber.


Dans le deuxième en revanche, il lui demande de la retenue et doit rééquilibrer ses sauts à la verticale pour éviter de toucher les barres.


C’est là tout le génie du concours complet. Demander au cheval des efforts contradictoires, passer d’une position à l’autre d’une simple pression de la main, avoir l’obsession de l’harmonie...


Le tout, sans jamais rien laisser transparaître. Comme un centaure.

Sur le cross, vitesse garantie.

«  J’aurais eu du mal à repartir si j’avais blessé Entebbe », confie Karim, six mois plus tard, dans son domaine de Nogent-le-Rotrou. 

« Heureusement, il ne m’en a pas voulu. »


L’expérience aura finalement renforcé les liens au sein du couple, qui s’illustre peu de temps après sur le quatre étoiles de Pau, un des plus gros concours internationaux au monde. Ils finissent cinquième.


« Tout a été balayé. Maintenant pour moi c’est plus une force qu’un inconvénient, ça a créé entre nous quelque chose de plus fort », sourit le cavalier en passant sa main dans ses cheveux poivre et sel.


Si Entebbe s’était fait peur, cela aurait pu signer l’arrêt définitif de sa carrière en complet. Car dans cette discipline, et notamment lors du cross, la confiance est un ingrédient essentiel au succès. Les efforts et les risques demandés aux équidés exigent un tel courage que la monture doit s’abandonner à son guide.


Les configurations d’obstacles sont conçues pour tester la bravoure de l’animal. Comme des sauts dans l’eau ou au-dessus de trous de plusieurs mètres de long. 

Têtes hautes, Nicolas et Crocket font leur entrée, portés par les applaudissements. Sous sa bombe, l’Angevin affiche une mine déterminée.


Dans les derniers sur la liste de départ, il a passé sa journée à attendre son tour. Peu de temps avant, Thomas Carlile, autre cavalier français, a réalisé un sans faute.


Après lui, les deux favoris allemands, dont le numéro un mondial, Michael Jung, clôtureront le concours. Il le sait, s’il veut assurer sa place dans le top 5, qu’il n’a pas le droit à l’erreur. Il s’élance.


La performance dure moins longtemps que la cuisson d'un oeuf au plat. Au bout de soixante-quinze secondes, le jingle du sans faute retentit déjà.


Près de la ligne d’arrivée, Nicolas souffle, soulagé. Sa place est assurée même si les Allemands réalisent un parcours parfait.


Ce qui ne tarde pas à arriver. Dernier à passer, Michael Jung donne l’impression de léviter au dessus des obstacles. Près du terrain, un spectateur regarde la scène sans trop être étonné. Puis lâche, en plaisantant à moitié : « Le complet c’est comme le football. À la fin, c’est toujours l’Allemagne qui gagne. » Vraiment ?

succombez à la tentation du scroll bref faut faire un effet scroll

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Dans les écuries de Karim Laghouag, le box d’Entebbe n’est qu’à quelques pas de la maison du cavalier. À la vue de son partenaire, l’étalon lance parfois des hennissements, pour réclamer de l’attention ou des friandises.

 

Cette proximité est essentielle, car le cavalier doit monter son cheval tous les jours, sans exception. Un travail d’étirement et de répétition des mouvements à maîtriser.

 

Cet entraînement au quotidien permet d’établir la relation si particulière entre le cheval et son cavalier. Une grosse dose de patience et d’écoute, pour savoir jusqu'où l’équidé est capable d’aller et ne pas lui faire prendre de risques insensés lors de compétitions.

 

​En ce jour de février, Karim entraîne Entebbe dans la carrière de sable. Les champs et la forêt s’étendent à perte de vue.

 

L’ambiance est détendue. L’air goguenard, le cavalier perché sur sa monture lance régulièrement des blagues entre deux figures de dressage.

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Ambiance feutrée à la tombée de la nuit à Fontainebleau.

Les cavaliers doivent être capables de rompre la relation à tout moment : si ce n’est pas une blessure ou la vieillesse qui vient séparer le couple, ce sont parfois les propriétaires qui mettent un terme à la relation. Car bien souvent, les cavaliers de complet ne possèdent pas leur monture, et sont donc soumis aux décisions des propriétaires.

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  1. Dis, Nic Touz, c'est quoi le concours complet ?

Nicolas Touzaint

Cavalier professionnel

Mais derrière ses facéties, le cavalier maintient son attention au maximum. Le travail qu’il impose à son cheval est essentiel :


« On cherche la décontraction et le relâchement dans l’effort. C’est aussi ce que recherchent les sportifs professionnels, mais ils travaillent sur eux-mêmes. Avec un cheval c’est autre chose, il a sa propre

volonté. »


Le cavalier doit donc gérer les émotions et la personnalité de son partenaire. Inutile d’employer la force sur une bête de 500 kilogrammes, l’homme perdra toujours.


« Si le cavalier agit avec une force brute, ça va se faire au détriment de la communication, affirme Eric Favory, médecin de l’équipe de France de complet. Le cheval va l’accepter une fois, mais pas deux. »


D’où la recherche continue de cet équilibre fragile : demander sans jamais contraindre.


« Il faut être très habile pour que le cheval ait envie de nous donner. Si on grille des étapes, on perdra cette  étincelle qui peut faire la différence pour rivaliser avec les meilleurs », analyse Karim.

Nicolas Touzaint, alias "Nic Touz"  sur les terrains de concours complet. 

Je suis une légende.

Survolez le plan du cross
de Fontainebleau
et découvrez le parcours
sous un autre angle

Karim Laghouag et Entebbe de Hus

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Au fil des années, le cavalier a appris à connaître les particularités de son partenaire, jusqu’aux plus surprenantes.


Car chaque cheval a ses lubies : « Entebbe, il n’aime pas le bleu, il a un petit bug avec cette couleur », s’amuse Karim, les yeux rieurs.


Ces détails ont leur importance en compétition : si un obstacle de la couleur redoutée se présente, le cavalier sait qu’il faudra être vigilant.


Sur les terrains de concours, une organisation bien rodée a vu le jour pour ne pas contrarier l’étalon. Les voisins de box sont triés sur le volet, en fonction des affinités.


Jamais très loin, l’autre cheval de Karim, Punch. « C’est son doudou. Si on le laisse tout seul, Entebbe peut péter un plomb et tout casser. Faut le connaître. »


Aujourd’hui, c’est un jour très paisible. L’étalon trotte dans la carrière avec décontraction.


De temps en temps, Karim lui lance deux ou trois mots. « Ça m’arrive des fois de lui faire la conversation. Mais bon, il comprend rien, il est Allemand », lance le sportif en riant.


Cette communication n’est pas que verbale. En équitation, tout repose sur un équilibre très subtil, presque imperceptible, entre jambes, mains et poids du corps du cavalier.


Chaque déplacement infime a une signification bien particulière pour l’équidé. Un ordre discret, mais millimétré, que le cheval intègre dès son plus jeune âge.


Une jambe au niveau de la sangle, une autre légèrement reculée par exemple, le cheval sait qu’il doit partir au galop.



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Découvrez différentes configurations d'obstacles en diaporama


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En hiver, la saison calme des concours permet aux cavaliers d’affûter cette communion avec leur monture, aux côtés des entraîneurs officiels des Bleus.


Karim retrouve alors les meilleurs cavaliers français du complet à l'École Nationale d’Equitation, à Saumur.


Ce matin de janvier, l’aube commence à peine à teinter le ciel de ses couleurs orangées. Mais bottes et sabots claquent déjà sur le sol bitumé des écuries. L’entraînement commence tôt le matin.


Le froid se condense en fine brume autour des naseaux des équidés et du visage de leur cavalier.


Droit comme un I, bonnet vissé jusqu’aux oreilles, Serge Cornut se tient au milieu du manège dédié au pôle France. Les joues de l’entraîneur spécialisé en dressage rougissent, mordues par le froid, mais il ne le réalise pas, trop absorbé à prodiguer des conseils millimétrés à son équipe.


Il contemple Karim et les autres cavaliers de l’équipe de France échauffer leur monture autour de lui.


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Passez le curseur sur la photo pour découvir Nicolas et Crocket à l'obstacle

«  En dressage, le commun des mortels ne voit rien, ça se transmet par le tact, c’est imperceptible. Plus le cheval est dressé, moins le cavalier intervient », détaille Serge Cornut. Jusqu’à arriver à la symbiose parfaite.


Après la session, Karim discute avec l’entraîneur. Détendu, Entebbe renifle le sable du manège.


« À force de répéter, les chevaux savent tout ce qu’on va leur demander à l’avance, faut pas rêver, lance le cavalier. On doit trouver des astuces pour toujours les surprendre, ne pas les laisser s’ennuyer. »


Thierry Touzaint observe avec attention l'entraînement d’hiver. Pour les Jeux Olympiques de Rio, le sélectionneur de l’équipe de France devra choisir des couples.


Jusqu’au dernier moment, Karim et Entebbe ne sauront pas s’ils font partie de la short-list : « C’est compliqué, parce que y a pas que toi comme sportif, y'a aussi ton cheval », reconnaît l’athlète.


Car un cavalier, aussi brillant soit-il, n’est rien avec un cheval peu performant ou blessé. Et inversement, un excellent cheval ne verra pas le soleil brésilien si son cavalier n'est pas fiable.


L’homme et le cheval voient donc leur destin sportif intimement lié.


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Les oreilles pointées en avant, à l’affût des intonations dans la voix de son cavalier, Sirocco du Gers enchaîne les sauts dans la carrière.


Dans ses installations basées au Lion d’Angers, Thomas Carlile entraîne et affûte ses chevaux de tête.


Un travail et une exigence du quotidien, avec un objectif : avoir une monture au sommet de sa forme tout au long de la saison des concours.


« Les grosses épreuves, je les prépare environ six mois à l’avance. Et plus l’épreuve se rapproche, plus j’augmente mon exigence dans le travail », explique le jeune prodige du concours complet français.


Dans son regard transparaît cette obstination propre à ceux qui aspirent aux plus hautes marches du podium.

Ces dernières années, Thomas Carlile est devenu une étoile montante de la discipline.


« J’ai toujours aimé la compétition, reconnaît le cavalier. Je me souviens, quand j’étais jeune, une fois j’ai perdu au Monopoly et j’ai pleuré. »





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Les chevaux ont parfois des noms étranges, même au plus haut niveau 


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Assistez à l'exercice de gymnastique à l'obstacle de Sirocco en survolant l'image

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Aujourd’hui, c’est entraînement à l’obstacle au programme de l'équidé. Encore et encore, Sirocco répète les sauts, « une gymnastique hebdomadaire ».


Toute l’énergie du cheval est mise dans la propulsion au-dessus des barres. Il retombe, souffle, et recommence quelques mètres plus loin.


Inlassablement, jusqu’à atteindre la foulée parfaite. Le corps affûté, Sirocco plie avec attention ses pattes.


Soucieux de bien faire, il consacre toute son énergie à ne pas toucher l’obstacle. Thomas le congratule longuement dès qu’il passe avec succès les difficultés de l’exercice.


Ces séances d’obstacles pour développer l’agilité ne représentent qu’une partie du programme athlétique suivi par le cheval. Pour atteindre le niveau d’un champion, l’entraînement est long et rude.


Avec des mises en souffle pour augmenter la capacité cardiaque de l'animal, ou encore un gros travail sur le dressage pour améliorer l’équilibre et la communication avec le cavalier.


Car, contrairement aux équidés qui ne pratiquent qu’une seule discipline, en dressage ou en saut d'obstacles purs, le cheval de complet doit être performant sur trois épreuves totalement distinctes.


​Comme un gymnaste, auquel on demanderait d’enchaîner une course de fond et un saut à la perche.





La discipline tire donc aux confins des capacités physiques et mentales de l’animal, qui doit se révéler un pluri-athlète accompli.


Une telle exigence nécessite un suivi de tous les instants pour s’assurer que l’équidé tienne la distance mentalement. Et surtout physiquement.


C’est le rôle de Xavier Goupil, vétérinaire officiel de l’équipe de France de complet.


Lors des entraînements de l’hiver, il en profite pour faire des check-up poussés de chaque cheval tricolore.


Son avis est primordial pour la sélection des couples lors des grandes échéances : un cheval qui présente une faiblesse physique pourrait compromettre l’équipe toute entière.


Entre deux échographies, le vétérinaire confie son admiration pour ces athlètes équins : « Il faut des chevaux de plus en plus complets, des athlètes polyvalents. Avant, un très bon cheval de cross et moyen en dressage et à l’obstacle pouvait se classer. Maintenant c’est terminé. »

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Sur les terrains de concours, Xavier Goupil n’est jamais loin, son regard aiguisé posé sur les chevaux des Bleus.


Avant le début des épreuves, tous les compétiteurs passent un contrôle vétérinaire, pour éviter de laisser partir sur les épreuves un cheval affaibli ou présentant une fragilité.


Mais là où l’endurance physique du cheval est la plus éprouvée, c’est à la suite du cross.


La récupération est primordiale, pour que l’animal puisse repartir le plus frais possible, dès le lendemain, sur l’épreuve d’obstacles.


Des minutes cruciales, où tout un staff se tient au garde-à-vous au niveau de la ligne d’arrivée.


À peine celle-ci franchie que s’ensuit une chorégraphie bien huilée autour de l’animal : sauts d’eau, éponges, électrolytes pour favoriser la ré-hydratation… Et toujours quelques carottes dans les poches.


Le cheval est rapidement dessellé, son filet desserré, puis on l’emmène longuement marcher pour éviter les courbatures du lendemain.


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Une fois la fréquence cardiaque descendue, le sportif regagne son box.

 

À l’issue du cross, les écuries s’animent au rythme des va-et-vient de ces hommes du cheval, qui s’affairent à la récupération de leur champion.

 

Une quantité abondante d’argile est étalée sur les membres des équidés. Tout au long de la nuit, la terre blanche va sécher et permettra de réduire l’inflammation créée pendant l’effort.

 

Des bandes de repos sont enroulées autour des pattes pour maintenir les tissus tendineux et éviter les engorgements. Les petites coupures et irritations sont enduites d’onguent cicatrisant.

 

Chacun y va de sa méthode. Certains cavaliers ne refusent rien à leur partenaire et utilisent des couvertures massantes ou bien des gels au menthol pour refroidir les muscles.

 

D’autres vont encore plus loin, comme l'observe Xavier Goupil : « Il y a des cavaliers qui choisissent la thalassothérapie pour permettre à leurs montures de se reposer après les grosses épreuves. Et maintenant, les chevaux de haut niveau ont tous un ostéopathe qui les suit, c’est un vrai plus. »

 

Jusqu’à la visite vétérinaire du lendemain matin, chacun serre les dents. Les cavaliers passent tard dans la soirée dans les boxes de leur monture pour vérifier que tout va bien.

 

Le moment est délicat. Des soins du jour dépendront peut être la performance du lendemain.

 

Mais Thomas ne s’inquiète jamais vraiment pour Sirocco. « Il récupère toujours très vite. Le jour du saut d’obstacles, on ne le sent pas du tout éprouvé par le cross de la veille », s’enorgueillit le cavalier.

 

Une qualité qui s’avère indispensable pour ne pas faire tomber des barres le troisième jour et perdre de précieuses places au classement.

 

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Faites connaissance avec les cavaliers français

et leur monture en passant la souris sur les photos

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La pose de l'argile et des bandes de repos est essentielle après le cross.

Survolez la photo de Thomas Carlile pour le découvrir sur le cross avec Sirocco du Gers

Xavier Goupil, vétérinaire de l'équipe de France de complet.

Surnommé « la machine à gagner », il cumule les titres sur le dos de Sirocco, avec, en tête de leur palmarès, une médaille d’or aux Championnats du monde des chevaux de sept ans.


Habituellement, les chevaux de complet atteignent leur meilleur niveau aux alentours de douze ou treize ans.


Pourtant, à seulement neuf ans, Sirocco du Gers rejoignait déjà l’équipe de France, sous la selle de Thomas, pour ses premiers Championnats d’Europe en septembre dernier.


Les Vestes Bleues ont fini médaille de bronze, une performance à laquelle a largement contribué le jeune couple.


« À la base, il n’a pas plus de qualités physiques qu’un autre, mais il s’est vraiment fait autour de sa volonté de bien faire et de vaincre », analyse Thomas, qui entraîne Sirocco depuis ses trois ans.


Un athlète aguerri de la croupe jusqu’au bout des sabots.


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Pour affronter la boue et l’herbe glissante, tout un attirail est prévu.


La monture est cramponnée. Des trous dans les fers des équidés permettent de visser les obus, dont la

taille et la forme varient en fonction du terrain. Des protections coquées préviennent les chocs contre les obstacles.


D’un jour à l’autre, l’animal aérien et élégant se transforme en bête de guerre. C’est un autre monde.


D’ailleurs, à l’origine, le cross était une épreuve militaire pour former les chevaux à aller au combat.

Les officiers préparaient leurs montures à être maniables, rapides, précises et endurantes. Avec cet entraînement, les chevaux devenaient aptes à affronter toutes les circonstances.


Gwendolen s’autorise tout de même quelques fantaisies pour l’épreuve.


Un casque rose, facilement reconnaissable sur les terrains de concours.


Et sur le filet du cheval, un discret liseré assorti, parsemé de paillettes.  Pour le reste, rien de superflu, seulement du matériel solide. À la guerre comme à la guerre.


Durant l’échauffement du Grand National de Saumur, la boue vole.


Il a plu dans la matinée de ce début de mars. Les poils des chevaux s’entremêlent dans un mélange de terre et de sueur.


Les naseaux frémissent, les foulées résonnent, l’ambiance est électrique, bien éloignée du calme olympien du dressage.


Gwendolen, concentrée, sourcils froncés, vérifie une dernière fois la sangle et son chronomètre avant de se lancer dans la boîte de départ.


Armée d’une aiguille et d’un fil noir, Oriane Sotin s’affaire sur la crinière de Romantic Love.


Le cheval couleur baie réalise dans trois heures sa reprise de dressage alors tout doit être impeccable, jusqu’à la coiffure de l’équidé.


« C’est la première fois que je lui fais une crinière cousue. On a dû la faire pousser car avant elle n’était pas assez longue », raconte la passionnée, son regard bleu concentré sur l’ouvrage.


« Quand on la coiffe avec des élastiques, c’est très rapide, alors que là, pour coudre, il faut se poser, prendre son temps. »


Après vingt bonnes minutes de travail, elle admire le résultat : « Ça lui va super bien ! » Ces tresses repliées portent un nom : les « pions ».


Oriane a même sa petite méthode pour les garder impeccables tout le long de l’échauffement du cheval : les fixer avec de la laque.


Dans ce sport, tout est question de codes et d’étiquettes.


Les sabots sont lustrés à la graisse noire, les queues brossées au démêlant.


L’importance se cache dans les détails et Oriane est la cheffe d’orchestre de cette partition de l’élégance équestre.


Dans le milieu, on l’appelle la « groom » : l’écuyère des temps modernes.


Cette partenaire, indissociable du cavalier professionnel, s’occupe de l’entretien quotidien du cheval et le prépare lors des grosses échéances.


Elle permet au cavalier de se consacrer entièrement à ses épreuves.


« On s’occupe de tout ce qui concerne l’état physique et mental du cheval, », résume-t-elle, avant d’énumérer : « Le matin, on se lève tôt pour les nourrir, nettoyer leur box, on fait leurs soins au quotidien et pendant les concours. On doit les chouchouter et les préparer pour le cavalier. »


Toute cette organisation millimétrée embrasse un objectif clair : avoir le cheval le plus beau possible.


« Là, je lui passe une lingette pour bébé sur les naseaux et le contour des yeux pour lui nettoyer, puis je mets de l’huile d’amande douce pour le faire

briller », détaille la groom.


Romantic Love patiente, habitué à toute cette agitation.


« Il fait sa sieste, il aime bien se laisser faire et qu’on s’occupe de lui », sourit Oriane en lui tapotant l’encolure.


À quelques pas de là, à la douche, Lourie Bonnaud shampouine les pattes de Crocket.


La groom du cavalier multimédaillé Nicolas Touzaint s’essuie le visage, puis souffle : « S’occuper d’un cheval gris, c’est le pire. Ils sont tout le temps sales. Je dois le laver plusieurs fois avant le dressage et il se roule tout le temps dans le crottin. »


Si chaque détail de la préparation compte, c’est que l’épreuve de dressage revêt une part non négligeable de subjectivité.


Trois juges mettent une note sur 10 au couple pour chaque figure exécutée.


Une évaluation humaine, où, même s’il n’existe pas de note d’élégance à proprement parler, l’apparence a toute son importance.


Et dans cette démonstration de beauté, le cavalier n’est pas en reste.


Quand Gwendolen Fer arrive pour enfourcher Romantic Love, sa tenue a été longuement pensée : bottes cirées, chapeau haut-de-forme, queue-de-pie, pantalon blanc immaculé.


Un dernier coup de brosse sur les bottes pour retirer la poussière, et la voilà partie.


Une trentaine de minutes pour échauffer le cheval puis cinq minutes de performance devant les juges.


Un court laps de temps où se déploie un subtil mélange d’élégance, de légèreté et de fluidité.


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Le lendemain : exit les tresses et les paillettes. Le cavalier abandonne son queue-de-pie pour un protège-dos et troque son haut-de-forme pour un casque.


C’est là l’ambivalence du complet, entre boue et cirage, entre crasse et strass.


Pour chaque épreuve, les tenues changent et le comportement du cheval aussi. « Le jour du dressage, Romantic est toujours calme, presque laxiste. Mais pour le cross, il se transforme en vrai lion », raconte sa cavalière.


« Les chevaux sentent ce genre de choses », confirme Oriane. Quand on lui met les protections de cross, Romantic commence à s’exciter, il sait où il va aller. Et une fois qu’il est à l’échauffement avant le cross, je ne peux même plus l’approcher ou le toucher. »



Les crampons sont vissés aux fers sur le cross.

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Oriane trépigne à l’arrivée, une mèche rebelle dans les yeux : « C’est le moment le plus stressant. On attend, on ne peut rien faire et le speaker met toujours trop de temps à donner des informations ! »


Ce jour-là, Gwendolen fait une dérobade sur un obstacle à la fin du parcours. Un écart qui lui coûtera vingt points de pénalité.  


Dans la soirée, Oriane nettoie avec minutie tout l’équipement de cross dans un silence déçu et prépare le matériel du lendemain.


Le ballet de mise en beauté reprendra alors son cours pour l’ultime étape, l’épreuve de saut d’obstacles.


À nouveau coiffés et chouchoutés, les chevaux se chargeront de faire le show.

Cliquez à tout moment sur les dessins pour mettre en pause et reprendre le récit de Karim

L'interminable attente

​de la groom.

Passez le curseur sur la photo pour découvrir Gwendolen Fer

et Romantic Love, tout de rose vêtus, sur le cross

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Passez le curseur pour agrandir l'électrocardiogramme couplé

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Cliquez sur la photo pour vous immerger dans le bruit des écuries...

... ou d'un entraînement de dressage avec Serge Cornut

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Le pas est rapide et assuré. Bottes aux pieds et vestes estampillées « France » sur le dos, les cavaliers et le staff de la sélection passent d'un obstacle à l'autre sans traîner.


En cette veille de départ du cross de Fontainebleau, les Vestes Bleues repèrent le parcours. Interdiction de venir à cheval selon le règlement, mais pas de se donner des conseils entre coéquipiers.


C'est même essentiel pour assurer une bonne performance de l'équipe. 


À l’avant du groupe, Gwendolen Fer et Thomas Carlile affichent leur complicité. Les deux plus jeunes de l'équipe se taquinent.


L’ambiance est détendue. Un peu en retrait, Nicolas Touzaint et Arnaud Boiteau, tous deux médaillés aux Jeux olympiques d'Athènes en 2004, discutent plus calmement, à la manière des chefs de meute.


Les premiers obstacles semblent faciles, personne ne s'arrête.


« Première minute ! » crie Arnaud. Bien organisé, le cavalier, gendarme de profession, a déjà reconnu le parcours la veille avec un odomètre, une roulette qui permet de mesurer les distances sur le cross.


Sur cette épreuve, les couples ont en moyenne une minute pour parcourir 570 mètres. Le militaire signale donc les endroits stratégiques pour que ses coéquipiers ne prennent pas de retard le lendemain et évitent des pénalités de temps.


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Le petit groupe stoppe près d’une série d'obstacles plus délicate.


« À la sortie, c'est là qu'il faut faire gaffe », lance le sélectionneur et entraîneur Thierry Touzaint. Le patriarche a l’expérience des terrains. Il est à la tête de la sélection depuis 1993.


« Je suis là pour les aider à trouver les bons contrats de foulées, il y a souvent beaucoup de possibilités », analyse-t-il.


Avec sa dégaine de vieux sage, il distille ses conseils pour « pallier les pièges des parcours ». Les cavaliers l’écoutent religieusement. Puis, un à un, ils comptent ensuite leurs foulées jusqu'à l'obstacle suivant. 



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« Est-ce que trois foulées c'est 

envisageable ? », demande Gwendolen.


Chewing-gum à la bouche, l'entraîneur répond : « Avec ton cheval, tout droit, ça passe, faut bien rester dans l’axe ».


Avant de se tourner vers Arnaud : « Dès que tu as fini ton parcours demain, tu viens nous voir pour nous dire comment s’est passé le passage de cette 

​combinaison ».

Sur ce cross, c’est lui l’ouvreur : le premier de l’équipe à partir sur les épreuves, et donc à se confronter aux difficultés du parcours.


En équipe, jusqu’à quatre couples prennent le départ, mais seuls les trois meilleurs résultats de chaque nation sont comptabilisés et additionnés.


Lors des Championnats, c’est le sélectionneur qui décide des ordres de passage des Vestes Bleues. Il arbitre en fonction de la forme des cavaliers et de leurs montures. « C’est un peu au feeling, en fonction des notes de dressage des uns et des autres et de l’expérience », confie Thierry Touzaint.


Le rôle de l'ouvreur est crucial, notamment sur le cross. Dès la ligne d’arrivée franchie, il doit détailler son parcours à l’entraîneur, les difficultés rencontrées, ou encore les passages pour gagner du temps.


Des informations essentielles pour aider ses coéquipiers à faire un parcours aussi parfait que possible.


« Ça permet de tester. Si l’ouvreur passe, on peut faire passer le second au même endroit. Ça permet aux autres de prendre plus de risques », précise Thomas.


Une stratégie propre au concours complet, à la croisée entre la tactique et la technique.


Les cavaliers poursuivent leur reconnaissance.


À la fin du parcours, ils ne se dispersent pas. Les Français ont leur box dans les mêmes quartiers avec, sur chaque porte, le drapeau tricolore.


Une proximité appréciée par les sportifs. Jeux Olympiques, Championnats d'Europe, Coupe des Nations, Jeux Équestres Mondiaux...


Ils savourent tous l’esprit de solidarité et d’échange que créent les rencontres internationales.


Au fil des compétitions, les cavaliers se retrouvent et tissent des liens de solidarité essentiels pour tenir dans l’univers du haut niveau, qui exige une implication poussée à l’extrême.


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Arnaud Boiteau, ouvreur de l'équipe avec Quoriano, à Fontainebleau.

Une fois sélectionnés pour représenter la France, les cavaliers savent leur performance individuelle reléguée au second plan. Le contrat est implicite.


« Quand je leur dis qu’ils sont dans l’équipe, le discours est clair dès le début », martèle Thierry Touzaint.


Car même si le classement individuel détermine les points totaux de leur nation, les cavaliers doivent parfois renoncer à un podium personnel pour préserver l’équipe.


Mathieu Lemoine en avait bien conscience lors de sa première sélection en équipe de France. Il se souvient de ce deal : « Thierry Touzaint m’a laissé le choix, pour être dans l’équipe, ça sous-entendait que si elle était en péril, je savais que je devrais mettre la performance personnelle de côté ».


La stratégie a permis aux Bleus de décrocher leur billet pour les Jeux de Rio... de justesse.  


Après la perte de la qualification suite à une affaire de dopage, tout s’est joué lors des Championnats d’Europe de Blair Castle, en septembre 2015.


Le concours de la dernière chance, l’ultime opportunité pour espérer faire partie du grand rendez-vous sportif.



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« C’était particulièrement stressant pour nous cavaliers, mais aussi pour les instances fédérales », se rappelle Nicolas Touzaint.


Alors, après la chute éliminatoire de Karim Laghouag avec Entebbe sur le cross, la tension monte encore d'un cran.


Une équipe doit nécessairement être composée de trois membres au minimum. Ses coéquipiers n'avaient donc plus droit à l’erreur : en cas de disqualification de l’un d’eux, l’équipe n’aurait compté plus que deux équipiers, et aurait été d’office éliminée.


Et alors, adieu aux Jeux olympiques pour les Bleus...


« C’était un coup dur, mais ça nous a bien boostés », reconnaît Mathieu Lemoine. C’est dans ces moments que l’accord tacite prend toute sa réalité.


L’instruction a été claire : ne prendre aucun risque pour finir à tout prix le parcours de cross. Et tant pis pour les cavaliers connus pour leur rapidité, comme Thomas Carlile.


Le jeune prodige a dû suivre un tracé plus long pour assurer et sécuriser les obstacles, quitte à laisser filer le chronomètre. Six mois plus tard, pendant le repérage du cross de Fontainebleau, il taquine encore son entraîneur sur le sujet.


« Ça n'a pas été facile pour lui, mais il a joué le jeu », s'amuse Thierry Touzaint.



Faites glisser le curseur pour découvrir le changement d'apparence de Gwendolen Fer et Romantic Love pour l'épreuve du dressage

Cliquez sur les épreuves et glissez le curseur sur le cheval et le cavalier pour découvrir les différentes tenues et leurs particularités 

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La tactique a payé : la France a ainsi décroché sa qualification pour Rio, en gravissant la troisième marche du podium.

 

Mais pour les cavaliers, tout reste encore à conquérir… Car avoir fait partie de l’équipe des Championnats d’Europe n'entraîne pas leur sélection automatique pour représenter les Bleus aux JO.

 

La saison de concours 2016 décidera des cinq couples qui se rendront au Brésil, quatre titulaires et un remplaçant. La liste ne sera révélée qu’au dernier moment, en juillet.

 

« J'y pense déjà depuis le début de la saison, assure le sélectionneur, j’ai l’équipe idéale dans ma tête ».

 

Mais tout peut arriver.

 

En concours complet il faut compter sur la forme physique de deux athlètes : le cheval et le cavalier. Et les risques de blessures planent toujours.

 

« Quand tout se passe bien on peut rivaliser avec les meilleurs », assure l’expérimenté Nicolas Touzaint.

 

Champion d’Europe en individuel, champion olympique en équipe à Athènes en 2004, il est le visage du concours complet en France depuis une quinzaine d'années.  

 

S’il participe à l’aventure au Brésil, il disputera ses cinquièmes Jeux. « Le fait d’avoir déjà connu ça plusieurs fois, c’est vrai que pour moi c’est plus rassurant », reconnaît l’intéressé.

 

Aujourd’hui il peut compter sur deux chevaux performants à haut niveau, Crocket 30 et Radijague.

 

« Ce qui est fort avec lui, c'est qu'il revient toujours avec des nouveaux chevaux et au plus haut niveau », complimente Michael Jung, numéro 1 mondial, qui règne sur la planète du concours complet actuellement.

 

Son expérience octroierait à Nicolas un rôle de mentor auprès des plus jeunes en cas de sélection. « Je sais à quoi m’attendre à tous les niveaux, et dans la préparation et sur le moment car c’est vrai que c’est beaucoup de pression et de tension médiatique », analyse l’Angevin.

 

Mais il n’est pas le seul à avoir connu les Jeux. Lui aussi couronné à Athènes en 2004, Arnaud Boiteau met toutes les chances de son côté pour se qualifier pour Rio, avec sa monture Quoriano.

 

Également membre de l’équipe en 2004, Cédric Lyard n’est pas à exclure non plus. Avec son cheval gris Cadeau du Roi, il tutoie régulièrement les premières places des compétitions internationales.

Dernier jour de compétition. Depuis les gradins, un public clairsemé observe un cavalier en selle trotter sur le Grand Parquet de Fontainebleau, l'espace gazonné mythique du terrain de concours.


À la manière d’un gladiateur dans l’arène, le sportif vient saluer les juges et les spectateurs.


Ultime épreuve du concours complet, le saut d'obstacles est peut-être la plus traître. Éreinté par le cross de la veille, le cheval doit puiser dans ses réserves pour franchir dans le temps imparti une dizaine d’obstacles.

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Frissons et suspense dans les gradins du Grand Parquet de Fontainebleau.

odomètre

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Depuis sa voiture, Thierry Touzaint garde un oeil sur ses cavaliers.

Nicolas Touzaint, ici aux côtés de son père et de Karim Laghouag,

est un pilier de l'équipe de France.

Thomas Carlile est réputé pour sa rapidité sur le cross.

À côté d'eux, une nouvelle génération de cavaliers talentueux a posé peu à peu ses bagages dans le camp bleu.


Thomas Carlile, Astier Nicolas, Mathieu Lemoine. Tous ont un rôle à jouer. À 40 ans, Karim Laghouag, artisan de la médaille de bronze aux derniers championnats d’Europe, veut aussi emmener Entebbe à Rio.


Tous se disent fiers de représenter leur pays sur les compétitions internationales, tous travaillent pour espérer une sélection. Mais les places en équipe de France sont chères.


Ni favoris, ni outsiders, les Bleus se rêvent en “challengers” à Rio. Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis, Nouvelle-Zélande, l’équipe de France se frottera aux meilleurs mondiaux.


Pour Thomas Carlile, pas besoin de traverser les océans, l’adversaire le plus redoutable se trouve juste de l’autre côté du Rhin : « Faut être très sûrs de sa technique pour être plus proches des Allemands à l’issue du dressage », prévient le jeune cavalier qui aimerait leur mettre « un peu la pression ».


« Mais ils sont très froids et très sereins. Ça n’a pas l’air de trop les inquiéter. » En effet à Fontainebleau, côté allemand, on était plutôt calme. Michael Jung, en tête dès l’épreuve du dressage et jusqu’au bout du concours, confiait qu’il ne craignait pas vraiment les Français.


Mais Thierry Touzaint met en garde : « Si on pensait qu’on n’avait pas de chance, on n’irait pas. On a prouvé que les chevaux français dressaient de mieux en mieux. Et le point fort de l’équipe, c’est le cross. Il faut des chevaux qui passent partout, la régularité sur cette épreuve, c’est prioritaire ».


Même son de cloche chez son neveu Nicolas : « Dans cette discipline on a la chance d’avoir une équipe de France qui peut faire des médailles, c’est motivant ».


Reste à savoir sur quelle marche du podium les bleus se hisseront. Réponse à Rio.


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À l'échauffement, ancienne et nouvelle génération se côtoient. Ici, Cédric Lyard et Thomas Carlile, peu avant de partir sur le cross du Grand National de Saumur, en mars 2016.

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Que pensent les cavaliers étrangers des Bleus ?

À la remise des prix, Michael Jung gravit la plus haute marche du podium, aux côtés de sa compatriote Sandra Auffarth. 

Nicolas Touzaint et Crocket finissent 4ème. À leurs côtés, Thomas Carlile et Sirocco du Gers signent la deuxième meilleure performance française en se hissant à la 5ème place.

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Instant bavardage à la fin de la séance d'entraînement.

Regards d'expert du sélectionneur national Thierry Touzaint et du directeur technique national Michel Asseray.

Naviguez à l'aide des flèches pour découvrir un check-up vétérinaire 

Inspectez le cheval pour trouver les blessures les plus fréquentes en complet

 

Les pions cousus : tout un art.

Thierry Touzaint indique la meilleure trajectoire pour aborder cette combinaison délicate.

Thomas Carlile et Gwendolen Fer marchent dans le gué pour calculer 

le nombre de foulées à prévoir avec leur cheval.

Les Unes se sont accumulées suite

à la perte de la qualification des Bleus pour Rio.

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Un odomètre, l'outil indispensable du cavalier de complet sur le cross.

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Laura Collett

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Michael Jung

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Images d'illustration : archives YouTube

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Images d'illustration : archives YouTube